Le Yâble sur le toit

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Le Yâble sur le toit


Le Yable est venu chez nous.
Comme je vous le dis ! Il est arrivé un matin, avec son truck. Ça faisait un bout qu’on l’attendait, faut dire. On l’espérait plus qu’on aurait voulu l’avouer. Et puis les relances, avec cette engeance-là, tu es mieux d’être patient parce qu’on ne te répond pas souvent. Remarque, ça t’évite d’allumer la radio, tu mets le haut-parleur sur le téléphone et tu as une ambiance musicale pour toute la matinée. 66.6 C’est quoi ? Yable FM, tiens…

Enfin, ce matin, il a fini par pointer sa vilaine face. Pas moyen de se tromper, avec un museau pareil, ça ne risquait pas d’être le bedeau venu collecter la dîme de l’église du coin ! Il s’est tenu devant la porte sans même sonner, comme s’il était certain qu’on guettait sa venue et, par Dieu, c’était le cas ! J’ai descendu les escaliers à un train d’enfer, évidemment, pour lui ouvrir en personne. Pas question de le vexer en appuyant sur la commande du verrou depuis l’appartement.

Quand j’ai ouvert la porte, il m’a regardé d’un air gourmand, un petit sourire au coin de ses lèvres gercées. Il portait une casquette noire, enfoncée sur des yeux dont je distinguais à peine le rougeoiement  – suffisamment en tout cas pour me faire reculer malgré moi.
–    Société Anonyme TAN, z’êtes bien celui… Qui a des problèmes avec là-haut ? a-t-il conclu après une pause destinée à m’indiquer la direction du ciel de la visière de sa casquette
–    Heu… Oui, oui. C’est ici.
–    OK alors. On attaque au plus sacrant ?
–    S’il vous plaît, oui.
Il s’est gratté la barbichette qui ornait son menton avant de faire apparaître une fossette sur chacune de ses joues tandis qu’il ajoutait en plissant les yeux :
–    C’est vos pêchés qui vous envoient à la pêche, ha !
Faisant référence à la malencontreuse idée que j’avais eue de me plaindre de son retard en expliquant que je ne voulais pas voir mon appartement transformé en lac, n’étant pas un fanatique de pêche à la ligne. J’ai grimacé en réponse à sa plaisanterie, pendant qu’il hoquetait d’un petit rire, rejetant une bouffée de fumée à chaque « ha », sans que je ne l’ai vu allumer ni tenir une cigarette, d’ailleurs…

Lui est ses assistants – tous aussi laids et sales les uns que les autres – ont mené un sabbat fort bruyant sur le toit, pendant trois jours. Je ne vous détaillerai pas les bruits étranges, invocations incompréhensibles et surtout les odeurs méphitiques qu’ils ont répandues dans et autour de la maison. Mais… quand on pactise avec le Malin, il faut s’attendre à quelques désagréments. Au bout de trois jours, J’ai soudain réalisé que la maison était redevenue silencieuse. À peine avais-je remarqué ce silence qu’on a cogné trois fois à la porte de l’appartement. C’était Lui. Je suis allé ouvrir, un peu anxieux.
–    Bon, ben, la job est faite. Pouvez aller voir. Si vous voulez.
Les derniers mots étaient prononcés sur un ton tellement menaçant que j’ai blêmi.
–    Non, non, je vous fais confiance.
–    En fait…
–    En fait ?
–    Ben si vous voulez, je peux rajouter une protection supplémentaire, là, tout de suite, avant de partir. Une protection d’enfer. Trois pour cents de majoration, seulement. Si j’étais vous…
–    Eh bien, vous me prenez un peu au dépourvu mais…
Ne voyant rien de bon dans son regard, j’ai enchaîné :
–    Bon, d’accord. Je vous signe quelque chose ?
En réponse, il a fouillé sa sacoche et exhibé une tablette numérique.
–    Mettez juste le pouce là, a t-il dit en indiquant un carré sur le formulaire qui s’affichait sur la tablette.
–    Wow, je m’attendais…
–    À un parchemin à signer ? Hey, vous me prenez pour un attardé ou quoi ? Ça fait longtemps que je suis informatisé !
–    Pardon, je ne voulais pas vous vexer…
–    Bon, OK, Y’a pas de mal.

J’ai apposé mon pouce sur l’écran de la tablette. Je n’ai rien senti. L’appareil a fait un « bip » et le Yable l’a rangé avant que j’aie eu le temps de voir ce qu’il avait affiché. Il a fait demi-tour et descendu l’escalier en faisant des grands gestes bizarres, tout en marmonnant quelque chose d’incompréhensible. Juste avant qu’il ne claque porte sur la rue, je l’ai entendu lancer en ricanant : « S.A. TAN, un service d’enfer, Ha ! »
Le toit était refait.
Je ne sais pas si j’ai eu raison de prendre la protection supplémentaire. Je le saurais vraiment quand j’aurais reçu la facture. En attendant, il y a quatre pieds de neige dans la ruelle, mais mon toit est aussi net qu’au mois de juillet. C’est toujours un souci de moins…

 

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